Aux origines des réseaux de chantage sexuel américains

Par Whitney Webb, le 18 juillet 2019

Jeffrey Epstein n’est que la dernière incarnation d’une opération beaucoup plus ancienne, plus étendue et plus sophistiquée qui ouvre une fenêtre effrayante sur les connexions profondes entre le gouvernement US et les équivalents modernes du crime organisé.

Jeffrey Epstein Lewis Rosenstiel Roy Cohn

En dépit de son accord « aux petits oignons » en 2008 et du fait qu’il ait apparemment échappé à la justice, le criminel sexuel milliardaire Jeffrey Epstein a été arrêté au début du mois de juillet 2019 sur des accusations fédérales de trafic sexuel de mineurs. L’arrestation d’Epstein a de nouveau attiré l’attention médiatique sur nombre de ses amis célèbres, y compris sur le président actuel des USA.

De nombreuses questions ont été soulevées depuis sur ce que les amis célèbres d’Epstein ont pu savoir de ses activités, et pour savoir exactement ce qu’il tramait. Ce fait dernier a sensiblement reçu davantage d’attention quand il a été rapporté qu’Alex Acosta – qui avait fignolé l’accord « aux petits oignons » d’Epstein en 2008 et qui a récemment démissionné du poste de Ministre du Travail de Donald Trump suite à l’arrestation d’Epstein – avait affirmé que le mystérieux milliardaire avait « travaillé dans les renseignements« .

D’autres investigations ont de plus en plus dévoilé qu’Epstein gérait une opération de chantage, comme il avait placé des mouchards dans les lieux – avec des microphones et des caméras pour enregistrer les interactions salaces transpirant entre ses invités et les filles mineures qu’il exploitait. Epstein semblait avoir stocké une grande partie de ce matériel compromettant dans un coffre sur son île privée.

Les déclarations exposant les liens et la complicité d’Epstein avec une opération de chantage sophistiquée et grassement financée n’ont, c’est étonnant, incité que peu de médias à examiner l’historique des agences de renseignement aux USA et ailleurs menant des opérations de chantage sexuel similaires, dont beaucoup ont aussi impliqué des prostitué(e)s mineur(e)s.

Aux seuls USA, la CIA a géré l’opération de nombreuses opérations de chantage sexuel à travers le pays, employant des prostitué(e)s pour cibler des diplomates étrangers dans ce que le Washington Post avait naguère désigné comme des « pièges à miel ». En remontant plus loin dans les annales historiques US, il émerge que ces tactiques et leur usage à l’encontre de personnalités puissantes politiquement, ou de par leur influence sont considérablement antérieures à la CIA et même à son prédécesseur l’OSS (Office of Strategic Studies). En réalité, elles ont été défrichées des années auparavant, par nulle autre que la Mafia américaine.

Au cours de cette enquête, MintPress a découvert qu’une poignée d’individus dotés d’influence au sein du crime organisé aux USA, avant et après la Prohibition, ont directement été impliqués dans des opérations de chantage sexuel qu’ils ont exploitées pour nourrir leurs propres ambitions, souvent noires.

Dans la première partie de cette enquête exclusive, MintPress examinera comment un homme d’affaires lié au « milieu », étroitement lié au notoire gangster Meyer Lansky développa des liens rapprochés avec le FBI tout en menant une opération de chantage sexuel pendant des décennies, qui devint plus tard un aspect caché de la croisade anti-communiste des années 1950 emmenée par le sénateur Joseph McCarthy (R-WI), qui avait lui-même la réputation dans tout Washington de peloter les jeunes filles adolescentes quand il était saoul.

Pourtant, ce serait l’un des plus proches assistants de McCarthy qui allait prendre le contrôle du cercle criminel des années plus tard, trafiquant les mineurs tandis qu’il étendait son opération de chantage sexuel en même temps que s’accroissait son influence politique personnelle, le mettant en contact étroit avec des personnalités de premier plan dont le Président Ronald Reagan et un homme qui allait lui-même devenir plus tard Président, Donald Trump.

Comme il sera révélé dans la deuxième partie, après la mort de ce personnage, l’opération de chantage s’est poursuivie avec divers drageons dans différentes villes, et les preuves abondent pour indiquer que Jeffrey Esptein était l’un d’entre eux.

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Samuel Bronfman

Samuel Bronfman et la Mafia

L’ère de la Prohibition aux USA sert souvent d’exemple pour démontrer comment l’interdiction de substances récréatives a non seulement l’effet d’augmenter leur popularité, mais provoque également une hausse de l’activité criminelle. Effectivement, ce fut la Prohibition qui accrût considérablement la force de la Mafia américaine, tandis que les chefs des gangs les plus importants du moment s’enrichissaient à travers le négoce clandestin de l’alcool, en plus des jeux d’argent et d’autres activités.

C’est par le biais du « boot-legging » [trafic d’alcool de contrebande, NdT] des années 1920 et du début des années 1930 que commence cette histoire, comme elle a réuni des figures-clé dont les successeurs et les affiliés iraient créer par la suite une série de cercles criminels de chantage et de trafic sexuel qui susciteraient l’émergence d’individus comme Jeffrey Epstein, du « Lolita Express » et de « Orgy Island ».

Samuel Bronfman n’avait pas prévu de devenir un grand producteur d’alcool mais fidèle à son patronyme, qui signifie « homme du cognac » en Yiddish, il a fini par distribuer de l’alcool en tant qu’activité annexe de l’affaire hôtelière familiale. Durant la période de Prohibition au Canada, qui fut plus courte que pour son voisin du Sud et qui la précéda, l’affaire de famille des Bronfman a employé des vides juridiques pour contourner la loi et trouver des moyens techniquement légaux pour vendre de l’alcool dans les hôtels et les magasins détenus par la famille. La famille comptait sur ses connexions parmi la Mafia américaine pour introduire de l’alcool illégalement au Canada depuis les USA.

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Peu de temps après que la Prohibition eut cessé au Canada elle commença aux USA et, une fois que le flux d’alcool ait changé de sens, les Bronfman – dont les entreprises étaient gérées par Sam Bronfman et ses frères – s’aperçurent qu’ils avaent pris du retard sur un commerce de « boot-legging » qui s’épanouissait déjà.

« Nous étions en retard sur les deux marchés les plus importants – sur les hautes mers et sur le fleuve Détroit. Ce qui sortait du commerce transfrontalier du Saskatchewan était insignifiant, en comparaison, » affirma Bronfman un jour au journaliste canadien Terence Robertson, qui écrivait alors sa biographie. Néanmoins, « c’est alors que nous avons commencé à vraiment gagner de l’argent, » se rappela Bronfman. La biographie de Bronfman par Robertson n’a jamais été publiée, puisqu’il mourut dans d’étranges circonstances peu de temps après avoir averti ses collègues qu’il avait découvert des informations peu savoureuses sur la famille Bronfman.

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Samuel Bronfman en 1937, avec ses deux fils Edgar et Charles

Une clé du succès de Bronfman durant la Prohibition américaine tenait dans les liens que sa famille avait cultivés avec le crime organisé au temps de la Prohibition canadienne, des liens qui menèrent de nombreux chefs de premier plan du crime organisé aux USA à préférer Bronfman comme partenaire commercial. L’alcool de Bronfman était acheté en grande quantité par de nombreux chefs criminels dont la légende survit encore en Amérique, tels que Charles « Lucky » Luciano, Moe Dalitz, Abner « Longy » Zwillman et Meyer Lansky.

La plupart des associés mafieux de Bronfman du temps de la Prohibition étaient membres de ce qui devint connu sous le nom de Syndicat National du Crime, qu’une enquête sénatoriale des années 1950 portant le nom de Comité Kefauver décrivait comme une confédération dominée par des gangs criminels italo-américains et juifs-américains. Au cours de cette enquête, certains des plus grands noms de la Mafia américaine ont désigné Bronfman comme une figure centrale de leurs opérations de contrebande. La veuve du notoire parrain de la Mafia Meyer Lansky s’est même souvenue de la façon dont Bronfman tenait des dîners somptueux pour son époux.

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Des années plus tard, leurs liens de famille avec le monde criminel souterrain intacts, les enfants et les petits-enfants de Samuel Bronfman iraient s’associer étroitement à Leslie Wexner, présumé être la source de la mystérieuse richesse d’Epstein, ainsi qu’avec d’autres « philanthropes » en lien avec la Mafia dont certains iraient gérer leur propre opération de chantage sexuel, y compris le « culte sexuel » dénommé « NXIVM » qui a récemment été démantelé. Les générations suivantes de la famille Bronfman, en particulier ses fils Edgar et Cahrles, seront évoqués dans de plus amples détails dans la deuxième partie de cette enquête.

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Lewis Rosenstiel

Le sombre secret de Lewis Rosenstiel

Au centre des opérations de « boot-legging » de Bronfman pendant la Prohibition se tenaient deux intermédiaires, et l’un d’entre eux était Lewis « Lew » Rosenstiel. Rosenstiel démarra dans la vie active en travaillant dans la distillerie de son oncle au Kentucky, avant la Prohibition. Dès que la loi prohibant l’alcool fut mise en application, Rosenstiel créa la Schenley Products Company, qui allait devenir plus tard l’une des plus grosses entreprises de distribution d’alcool d’Amérique du Nord.

Bien qu’il ait été un cancre à l’école et qu’il n’avait pas de « carnet d’adresses » particulièrement étoffé à l’époque, Rosenstiel eut « la chance » de croiser Winston Churchill en 1922 alors qu’il était en vacances sur la Côte d’Azur. Selon le New York Times, Churchill « lui conseilla de se préparer au retour des ventes d’alcool aux USA. » Rosenstiel parvint on ne sait comment à s’assurer le concours financier de la firme élitiste et très respectée de Wall Street, Lehman Brothers, pour financer son rachat de distilleries qui avaient été fermées.

Officiellement, il est dit que Rosenstiel a construit sa fortune après la Prohibition, en suivant le conseil de Churchill de s’y préparer. Toutefois, il était clairement impliqué dans les opérations de contrebande et fut même poursuivi pour ce fait en 1929, bien qu’il parvint à échapper à la condamnation. Comme Bronfman, Rosenstiel était proche du crime organisé, en particulier des membres de l’alliance mafieuse principalement juive-américaine et italo-américaine connue sous la dénomination de Syndicat National du Crime.

Des enquêtes successives au niveau de l’État de New York allaient suggérer que Rosenstiel « faisait partie d’un ‘consortium’, avec des membres du monde criminel qui achetaient de l’alcool au Canada [de Samuel Bronfman] », dont les autres membres étaient « Meyer Lansky, le parrain mafieux réputé ; Joseph Fusco, un associé du gangster décédé de Chicago Al Capone ainsi que Joseph Linsey, un homme de Boston que M. Kelly [l’enquêteur parlementaire rendant son témoignage] a identifié comme un trafiquant d’alcool déjà condamné. » La relation de Rosenstiel avec ces hommes, en particulier Lansky, allait se poursuivre après la Prohibition et Samuel Bronfman, pour sa part, continuerait d’entretenir ses liens mafieux.

En plus de ses amis dans la Mafia, Rosenstiel cultivait également des liens étroits avec le FBI, développant une relation très proche avec celui qui fut très longtemps Directeur du FBI, J. Edgar Hoover, faisant du bras droit de Hoover, Louis Nichols, qui fut longtemps son assistant au FBI, Vice-Président de son empire Schenley en 1957.

En dépit de leurs situations similaires de barons de la contrebande devenus des hommes d’affaires « respectables », les personnalités de Bronfman et de Rosenstiel étaient radicalement différentes et leur relation était, au mieux, compliquée. Un exemple des différences entre ces plus puissants barons de l’alcool de contrebande en Amérique du Nord concerne la façon dont ils traitaient leurs employés. Bronfman n’avait pas la réputation d’être un patron cruel, tandis que Rosenstiel était connu pour son comportement erratique et « monstrueux » envers ses employés, ainsi que pour la pratique inhabituelle de placer des micros dans ses bureaux, afin de savoir ce que ses employés disaient de lui pendant son absence.

Bien que pendant des années seuls des indices ont percé concernant cette autre face de l’entrepreneur controversé, des détails émergèrent plus tard au cours d’une procédure de divorce lancée par la quatrième épouse de Rosenstiel, Susan Kaufman, qui appuya ces allégations. Kaufman allégua que Rosenstiel avait hébergé des fêtes extravagantes impliquant des « garçons prostitués » que son mari avait loués « pour le plaisir » de certains invités, qui comprenaient des dignitaires importants du gouvernement et des personnalités éminentes du monde criminel souterrain d’Amérique. Kaufman allait réitérer les mêmes affirmations sous serment plus tard, pendant l’audition du Comité Législatif Conjoint sur le Crime de l’État de New York, au cours des années 1970.De telles différences entre Bronfman et Rosenstiel se reflétaient aussi dans leurs vies personnelles. Alors que Bronfman ne s’est marié qu’une seule fois et qu’il est resté fidèle à son épouse, Rosenstiel s’est marié cinq fois, et il était connu pour ses frasques bisexuelles relativement discrètes, un versant de sa vie bien connu de nombreux associés proches et employés.

Non seulement Rosenstiel organisa ces fêtes, mais il s’assura aussi que les lieux étaient truffés de micros qui enregistraient les ébats de ses invités du gratin. Ces enregistrements audio, alléguait Kaufman, étaient alors conservés dans des buts de chantage. Bien que les affirmations de Kaufman soient choquantes, son témoignage fut jugé crédible et tenu en haute estime par l’ancien conseiller principal du Comité sur le Crime le Juge de New York Edward McLaughlin, ainsi que par l’enquêteur du comité William Gallinaro, et des aspects de son témoignage furent ultérieurement corroborés par deux témoins distincts que Kaufman ne connaissait pas.

Ces « fêtes du chantage » ouvrent une fenêtre sur une opération qui allait devenir plus tard plus sophistiquée et s’accroître énormément dans les années 1950 sous la férule du « commandant de terrain » de Rosenstiel (un sobriquet donné par Rosenstiel à un individu bientôt nommé dans cette enquête). Beacuoup de personnes liées au « commandant de terrain » de Rosenstiel au cours des années ’70 et ’80 ont vu leurs noms apparaître à nouveau dans la presse, dans le sillage de la récente arrestation d’Epstein.

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Meyer Lansky

Le gangster « intouchable »

Bronfman et Rosenstiel devinrent légendaires dans le commerce d’alcool en Amérique du Nord en partie à cause de leur lutte pour la suprématie dans cette industrie, que le New York Times décrivait comme explosant souvent « en amères batailles personnelles et corporatistes ». En dépit de leur duel dans le monde des affaires, la chose qui les unissait plus que toute autre était leur lien étroit avec le crime organisé, en particulier avec le mafieux notoire Meyer Lansky.

Lansky est l’un des gangsters les plus notoires de l’histoire du crime organisé en Amérique, notable pour être le seul mafieux connu à s’être élevé vers la notoriété dans les années ’20 qui soit parvenu à mourir vieux, sans avoir passé un seul jour derrière les barreaux d’une prison.

La longue vie de Lansky et son habileté à éviter la prison étaient largement dues à sa proximité avec des hommes d’affaires importants tels Bronfman et Rosenstiel (parmi beaucoup d’autres), le Federal Bureau of Investigation (FBI) et la communauté du renseignement US, ainsi qu’à son rôle dans l’établissement de cercles criminels de chantage et d’extorsion, qui l’ont aidé à garder la loi à distance. En effet, lorsque Lansky fut enfin accusé d’un crime dans les années ’70, ce fut l’Internal Revenue Service [IRS, FISC aux USA, NdT] qui appuyait la plainte et pas le FBI, et il fut accusé puis acquitté d’évasion fiscale.

Lansky était notablement proche de Bronfman comme de Rosenstiel. Bronfman tenait régulièrement des « dîners somptueux » en l’honneur de Lansky à la fois pendant et après la Prohibition. Ces fêtes avaient laissé un souvenir chaleureux à l’épouse de Lansky, et Lansky fit en retour des faveurs à Bronfman, allant de la protection exclusive de ses livraisons pendant la Prohibition à l’obtention de billets pour les « combats du siècle » convoités dans les rings de boxe.

Rosenstiel tenait lui aussi des dîners réguliers en l’honneur de Lansky. Susan Kaufman, l’ex-épouse de Rosenstiel, a affirmé avoir pris de nombreuses photos de son ex-mari et de Lansky faisant la fête ensemble, des photos également vues par Mary Nichols de The Philadelphia Inquirer. De plus Lansky, de par les souvenirs de Kaufman, était l’un de ceux que Rosenstiel cherchait le plus à garder hors d’atteinte de la loi dans le cadre de son cercle criminel de prostitution enfantine et de chantage ciblant des responsables haut-placés, et on l’entendit dire, au cours d’une conversation, que si le gouvernement « cherche jamais à mettre la pression sur Lansky ou sur n’importe lequel d’entre nous, nous nous servirons de ça [un enregistrement spécifique fait lors d’une des « fêtes »] comme levier de chantage ».

Lansky était connu pour s’adresser à Rosenstiel comme étant le « Commandant Suprême », un titre qui serait utilisé plus tard pour faire référence à Rosenstiel par un autre individu profondément connecté à la Mafia et aux opérations de chantage sexuel, cité précédemment dans cet article comme le « Commandant de Terrain » de Rosenstiel.

Lansky avait aussi des liens étroits avec la CIA et les renseignements militaires US. Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, Lansky – de même que son associé Benjamin « Bugsy » Siegel – a travaillé avec les renseignements de l’US Navy dans ce qui avait pour nom « Operation Underworld » [« opération du monde souterrain », NdT], une opération niée par le gouvernement pendant plus de quarante ans.

Le journaliste et chroniqueur remarqué des activités secrètes de la CIA, Douglas Valentine, a écrit dans son livre The CIA as Organized Crime: How Illegal Operations Corrupt America and the World [« La CIA en tant que crime organisé : comment des opérations illégales corrompent l’Amérique et le monde », NdT] que la coopération entre gouvernement et la Mafia pendant la Seconde Guerre Mondiale mena à son expansion après la guerre, posant les fondations pour sa collaboration future avec les services de renseignements US.

Selon Valentine :

De hauts responsables du gouvernement avaient également conscience que le pacte faustien entretenu par celui-ci avec la Mafia pendant la Seconde Guerre Mondiale avait permis aux voyous de s’insinuer au cœur de la société américaine. En retour des services rendus durant la guerre, les patrons de la Mafia ont été protégés de poursuites dans des dizaines d’affaires de meurtres irrésolus. […]

La Mafia était un énorme problème en 1951 [quand le Comité Kefauver s’est réuni], équivalant au terrorisme de nos jours. Mais c’était aussi une branche protégée de la CIA, qui cooptait les organisations criminelles autour du monde et s’en servait dans sa guerre secrète contre les Soviétiques et les Chinois. La Mafia avait collaboré avec l’Oncle Sam, et est sortie de la Seconde Guerre Mondiale renforcée et vivifiée. Ils contrôlaient des villes à travers tout le pays.

En effet, peu de temps après sa création, la CIA forgea des liens avec Lansky à l’initiative du chef du contre-espionnage à la CIA, James J. Angleton. La CIA se tournerait bientôt vers le gang lié à Meyer Lansky au début des années ’60, comme acteur dans son projet constamment infructueux d’assassinat du dirigeant cubain Fidel Castro, démontrant que la CIA entretenait ses contacts avec des éléments de la Mafia contrôlés par Lansky, longtemps après que la réunion initiale avec Lansky ait eu lieu.

La CIA avait aussi des liens proches avec des associés de Lansky tels qu’Edward Moss, qui s’occupait de relations publiques pour Lansky et était référencé comme étant « d’intérêt » pour la CIA par l’inspecteur-général de l’agence à ce moment-là, J.S. Earman. Harry « Happy » Meltzer était lui aussi un autre associé de Lansky et agent de la CIA, la CIA lui demandant de se joindre à une équipe d’assassins en décembre 1960.

En plus de la CIA, Lansky était aussi connecté à une agence étrangère de renseignements par le biais de Titor Rosenbaum, un fournisseur d’armes et haut dignitaire du Mossad « israélien » dont la banque – l’International Credit Bank of Geneva – blanchissait une bonne partie des gains illégalement acquis de Lansky, les recyclant dans des entreprises américaines légales.

Meyer Lansky
Lansky à l’extérieur de la Haute Cour « israélienne », où il a tenté d’émigrer en 1972 – Photo/AP

Le journaliste Ed Reid, auteur de la biographie de Virginia Hill The Mistress and the Mafia[« la Maîtresse et la Mafia », NdT], écrivit que Lansky s’était efforcé de piéger des gens puissants à travers le chantage sexuel aussi loin dans le passé que 1939. Reid plaide que Lansky envoya Ms. Hill au Mexique, où ses relations de la Côte Ouest avaient établi un trafic de drogue impliquant plus tard l’OSS, prédécesseur de la CIA, afin de séduire de nombreux « politiciens, officiers de l’armée, diplomates et responsables de la police. »

Éventuellement, Lansky fut crédité d’avoir obtenu des photos compromettantes du Directeur du FBI J. Edgar Hoover au cours des années 1940, montrant « Hoover dans une espèce de situation gay », selon un ancien associé de Lansky qui affirma aussi que Lansky avait souvent dit qu’il avait « fixé ce fils de pute. » Les photos montraient Hoover en pleine ébat sexuel avec son ami de longue date, le Directeur Adjoint du FBI Clyde Tolson.

Au bout d’un moment, ces photos tombèrent entre les mains du chef du contre-espionnage à la CIA James J. Angleton, qui montra ensuite ces photos à plusieurs autres responsables de la CIA, dont John Weitz et Gordon Novel. Angleton s’occupa de la relation de la CIA avec le FBI et le Mossad « israélien » jusqu’à ce qu’il quitte l’agence en 1972 et, comme déjà mentionné, il était également en contact avec Lansky.

Anthony Summers, ancien journaliste de la BBC et auteur de Official and Confidential: The Secret Life of J. Edgar Hoover [« Officiel et confidentiel : la vie secrète de J. Edgar Hoover, NdT], a plaidé que ce n’était pas Lansky mais William Donovan, le Directeur de l’OSS, qui avait obtenu les photos originales de Hoover et les avait partagées plus tard avec Lansky.

Summers déclara également que « pour [le gangster Frank] Costello et Lansky, la capacité à corrompre les politiciens, les policiers et les juges était fondamentale pour les opérations de la Mafia. La façon qu’ils ont trouvée de s’occuper de Hoover, selon de nombreuses sources mafieuses, comprenait cette homosexualité. » Cette anecdote démontre que Lansky et la CIA entretenaient une relation secrète qui comprenait, entre autres choses, le partage de matériel apte au chantage (c’est-à-dire, du « renseignement »).

Il est également possible que Hoover ait été piégé par la Mafia au cours de l’une des « fêtes du chantage » de Rosenstiel, où Hoover s’est parfois trouvé présent aux côtés de membres éminents de la Mafia. Il est dit que Hoover avait mis des vêtements de femme au cours de certains de ces événements, la femme de Meyer Lansky affirmant plus tard que son mari possédait des photos de l’ancien Directeur du FBI travesti. De plus, Hoover a été enregistré faisant preuve d’une inquiétude inhabituelle à propos de la gestion par le FBI des liens de Rosenstiel avec le crime organisé aussi tôt qu’en 1939, la même année où son proche associé Lansky tirait les ficelles du chantage sexuel de personnages politiques importants.

Le levier de chantage acquis sur Hoover et la détention des preuves par la Mafia ont été cités comme facteur majeur dans le déni par Hoover, courant sur plusieurs décennies, du fait que les réseaux nationaux de crime organisé étaient un problème sérieux. Hoover assurait que c’était un phénomène décentralisé et local, par conséquent à l’extérieur de la juridiction du FBI. Quand Hoover admit enfin l’existence de réseaux nationaux de crime organisé en 1963, ils s’étaient tellement incrustés dans les infrastructures du pays qu’ils étaient devenus intouchables.

Le consultant parlementaire sur le crime Ralph Salerno a dit à Summers en 1993 que la négligence volontaire de Hoover à propos du crime organisé, pour la majeure partie de sa carrière en tant que Directeur du FBI, « a permis au crime organisé de devenir très fort en termes économiques et politiques, et qu’il en est devenu une menace beaucoup plus grande pour le bien-être de ce pays qu’eut été le cas si le problème avait été traité beaucoup plus tôt. »

J. Edgar Hoover: victime de chantage ?

La plupart des annales situent le début de la relation de Hoover et de Rosenstiel au début des années 1950, la même décennie que celle où Susan Kaufman avait rapporté que Hoover avait assisté aux « fêtes de chantage » de Rosenstiel. Le dossier de Rosenstiel au FBI, obtenu par Anthony Summers, cite la première rencontre avec Rosenstiel comme s’étant déroulée en 1965, bien que Summers relève l’existence de preuves attestant qu’ils se connaissaient depuis longtemps déjà. Après avoir requis cette rencontre, en l’affaire de quelques heures un face-à-face avec le Directeur fut accordé à Rosenstiel. Le dossier du FBI sur Rosenstiel révèle également que le baron de l’alcool faisait du lobbying intense auprès de Hoover, afin que celui-ci l’aide dans ses intérêts commerciaux.

Pendant ce temps, les détails salaces de la vie sexuelle de Hoover étaient déjà connus de la communauté US du renseignement et de la Mafia, et Hoover était conscient du fait qu’ils étaient au courant de sa sexualité refoulée et de son penchant pour les vêtements féminins. Pourtant, Hoover semblait jouir de ce genre d’opération de chantage sexuel qui avait compromis sa vie privée, étant donné qu’il était régulièrement vu parmi les invités des « fêtes de chantage » de Rosenstiel pendant les années ’50 et ’60, y compris dans des lieux comme la maison personnelle de Rosenstiel et plus tard au Plaza Hotel de Manhattan. Le penchant de Hoover pour les vêtements féminins a également été décrit par deux témoins qui n’étaient pas connectés à Susan Kaufman.

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Hoover et Dorothy Lamour sur la scène de The Greatest Show on Earth, en 1951

Peu de temps après leur première rencontre « officielle », la relation publique entre les deux hommes se développa rapidement, Hoover envoyant même des fleurs à Rosenstiel quand il était malade. Summers rapporta qu’en 1957, Rosenstiel fut entendu dire à Hoover au cours d’une réunion, « vos désirs sont des ordres. » Leur relation demeura extrêmement proche et intime tout au long des années ’60 et au-delà.

Comme Rosenstiel, Hoover était très connu pour son accumulation de matériel compromettant, sur ses amis comme sur ses ennemis. Le bureau de Hoover contenait des « dossiers secrets » sur de nombreux personnages puissants de Washington et au-delà, des dossiers qu’il employait pour gagner des faveurs et protéger son statut de Directeur du FBI, aussi longtemps qu’il le désirait.

L’usage par Hoover lui-même du chantage suggère qu’il s’est peut-être associé plus directement à l’opération de chantage sexuel de Rosenstiel, étant donné qu’il se savait déjà compromis et que son implication dans l’opération pourrait lui servir à obtenir le matériel compromettant qu’il désirait pour ses propres plans. En effet, si Hoover ne faisait que subir un chantage et une extorsion de la part de la Mafia en lien avec Lansky et Rosenstiel, il est peu probable qu’il soit demeuré aussi amical envers Rosenstiel, Lansky et les autres gangsters présents lors de ces événements ou qu’il y ait pris part avec autant de régularité.

Selon le journaliste et auteur Burton Hersh, Hoover était aussi lié à Sherman Kaminsky, qui gérait une opération de chantage sexuel à New York impliquant de jeunes prostitués mâles. Cette opération fut appréhendée et examinée dans une enquête sur l’extorsion dirigée par le Procureur du District de Manhattan Frank Hogan en 1966, bien que le FBI ait vite repris l’enquête en main et que les photos de Hoover et de Kaminsky disparurent ensemble très vite du dossier de l’affaire.

Les liens profonds entre Hoover et Rosenstiel allaient continuer à se développer au fil des ans, un exemple en étant le recrutement par Rosenstiel de l’assistant de longue date de Hoover, Louis Nichols, en tant que Vice-Président de son empire de l’alcool Schenley, et de la donation par Rosenstiel de plus d’un million de dollars US à la Fondation J. Edgar Hoover, également dirigée par Nichols à l’époque.

Il existe plus d’une occasion documentée où Hoover a tenté de se servir du chantage pour protéger Rosenstiel et son « commandant de terrain », nul autre que le notoire Roy Cohn, l’autre figure-clé de l’opération de chantage sexuel de Rosenstiel impliquant des mineurs.

La fabrication d’un monstre

Des dizaines d’années après sa mort, Roy Cohn demeure une figure controversée en grande partie à cause de sa relation proche et personnelle avec le Président actuel des USA, Donald Trump. Pourtant les rapports sur Cohn, à la fois dans les années récentes et plus anciennes, ratent souvent la cible dans leur description de l’homme qui devint un associé proche de la Maison Blanche sous Ronald Reagan, de la CIA, du FBI, du crime organisé et, accessoirement, de nombreux individus qui allaient graviter plus tard autour de Jeffrey Epstein.

Pour comprendre la réelle nature de l’homme, il est essentiel d’examiner son ascension vers le pouvoir au début des années 1950 quand, à l’âge de seulement 23 ans, il est devenu un personnage-clé dans le procès très médiatisé des espions soviétiques Ethel et Julius Rosenberg, devenant par la suite le bras droit du Sénateur Joseph McCarthy (R-WI).

Le dévouement de Cohn en faveur des activités anti-communistes des années 1950 est preut-être ce qui a plu à J. Edgar Hoover, qu’il a rencontré pour la première fois en 1952. Au cours de cette rencontre, telle que décrite par Hersh dans Bobby and J. Edgar: The Historic Face-Off Between the Kennedys and J. Edgar Hoover That Transformed America [« Bobby et J. Edgar : le duel historique entre les Kennedy et J. Edgar Hoover qui transforma l’Amérique », NdT], Hoover exprima son admiration pour les tactiques agressives et manipulatives de Cohn, lui disant de « m’appeler directement » à chaque fois qu’il avait des informations bonnes à partager. À partir de là, Cohn et Hoover « échangèrent des services, des compliments emphatiques, des cadeaux et des dîners privés distingués. Ils passèrent vite à ‘Roy’ et ‘Edgar’. » Hersh décrit également Hoover comme le « consigliere » prochain de Cohn.

La date et les circonstances de la présentation de Cohn à Rosenstiel sont plus dures à trouver. Il est possible que la connection fut opérée par le biais du père de Roy Cohn, Albert Cohn, un juge réputé et figure influente de l’appareil du Parti Démocrate de la ville de New York, alors dirigé par Edward Flynn. Il fut révélé ultérieurement que l’organisation Démocrate dominée par Flynn et basée dans le Bronx possédait des liens de longue date avec le crime organisé, y compris des associés de Meyer Lansky.

Quelle que soit le moment ou la façon dont elle a commencé, la relation entre Cohn et Rosenstiel était proche et se voyait souvent comparée à la relation entre un père et son fils. Il est dit qu’ils se saluaient fréquemment en public, et qu’ils sont demeurés proches alors que la mort était au chevet de Rosenstiel, moment choisi par Cohn pour tenter de gruger son « ami », alors à peine conscient et sénile, pour qu’il le nomme exécuteur et tuteur de ses biens de magnat de l’alcool, estimés à 75 millions de dollars US (plus de 334 millions de dollars US actuels).

Le magazine LIFE rapporta en 1969 que Cohn et Rosenstiel avaient parlé l’un de l’autre en tant que « Commendant Suprême » et « Commandant de Terrain », respectivement. Les références médiatiques à ces surnoms apparaissent dans d’autres articles datant de la même période.

Bien que LIFE et d’autres médias l’aient interprété comme une simple anecdote à propos de surnoms partagés entre amis avec humour, le fait que le notoire parrain du crime Meyer Lansky appelle lui aussi Rosenstiel « Commendant Suprême », que Cohn et Rosenstiel allaient devenir plus tard intimement complices du même cercle pédocriminel suggère qu’il peut y avoir là plus qu’une simple affaire de « surnoms ». Après tout, la Mafia à laquelle Rosenstiel était lié employait souvent des termes à connotation militaire comme « soldat » et « lieutenant », pour distinguer le rang et l’importance de ses membres.

Une fois qu’il eut opéré cette connection avec Hoover, l’étoile de Cohn commença à s’élever encore plus haut à Washington. La recommandation de Cohn par Hoover allait devenir le facteur décisif dans sa nomination comme principal avocat du Sénateur McCarthy en lieu et place de Robert Kennedy, rival et farouche ennemi de Cohn.

Joseph McCarthy
McCarthy couvre le microphone tout en chuchotant avec Cohn lors d’une audition du comité, en 1954 – Photo/AP

Bien que Cohn ait été impitoyable et apparemment intouchable en tant qu’avocat de McCarthy, et qu’il aida le Sénateur à détruire de nombreuses carrières pendant les chasses aux sorcières rouges et de lavande, ses frasques en lien avec son travail dans le comité allaient bientôt mener à sa chute après qu’il ait tenté de faire chanter l’US Army, en retour d’un traitement préférentiel en faveur du consultant du comité et son amant présumé, David Schine.

Après qu’il ait été contraint de quitter McCarthy à cause du scandale, Cohn retourna à New York vivre avec sa mère et pratiquer le droit. Quelques années plus tard le Juge de New York David Peck, un associé de longue date de l’ancien Directeur de la CIA Alan Dulles, s’arrangea pour que Cohn soit embauché dans la firme d’avocats new-yorkaise Saxe, Bacon & O’Shea – qui deviendrait Saxe, Bacon & Bolan après que Tom Bolan, un ami de Cohn, soit devenu partenaire dans la firme. À son recrutement, Cohn apporta une flopée de clients connectés à la Mafia à la firme, y compris des membres haut-placés de la famille criminelle Gambino, de la famille criminelle Genovese et, bien entendu, Lewis Rosenstiel.

Qu’est-il arrivé dans la suite 233 ?

Les relations qu’établit Roy Cohn durant les années 1950 ont fait de lui un personnage bien connu du public, et se sont traduites par une grande influence politique qui atteignit son apogée au cours de la présidence de Ronald Reagan. Pourtant, tandis que Cohn construisait sa réputation publique, il développait aussi une sombre vie privée, qui allait s’avérer dominée par le même trafic d’influence par le chantage pédocriminel semblant avoir d’abord commencé avec Lewis Rosenstiel.

L’une des « fêtes au chantage » auxquelles assista Susan Kaufman, en compagnie de son époux d’alors Lewis Rosenstiel, était tenue par Cohn en 1958 au Plaza Hotel de Manhattan, dans la suite 233. Kaufman décrivit la suite de Cohn comme une « magnifique suite… toute décorée en bleu clair. » Elle décrivit sa rencontre sur place avec Hoover, qui était grimé en femme, et avec Cohn, qui l’informa que le nom de Hoover était « Mary »  dans une crise de fou rire à peine retenue. Kaufman témoigna que des jeunes garçons étaient présents et Kaufman affirma que Cohn, Hoover et son ex-époux s’engagèrent dans des actes sexuels avec ces mineurs.

L’avocat new-yorkais John Klotz, qui avait la tâche d’enquêter sur Cohn dans une affaire très postérieure au témoignage de Kaufman, trouva aussi des preuves sur la « suite bleue » du Plaza Hotel et sur son rôle dans un cercle d’extorsion basé sur le sexe, après avoir épluché des documents du gouvernement local et des informations recueillies par des détectives privés. Klotz partagea ensuite ce qu’il avait appris avec le journaliste Burton Hersh :

“Roy Cohn offrait de la protection. Il y avait un tas de pédocriminels impliqués. C’est de là que Cohn tirait son pouvoir – du chantage.”

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Les drapeaux volent au vent, au-dessus de l’entrée principale de l’hôtel Plaza, à New York – Photo/AP

La confirmation sans doute la plus consternante des activités de Cohn dans la Suite 233 vient de déclarations faites par Cohn lui-même à l’ancien détective du NYPD et ancien chef de la Division sur les Crimes de Trafic Humain et liés au Vice du département de la police de New York, James Rothstein. Rothstein informa plus tard John DeCamp – un ancien Sénateur de l’État du Nebraska qui avait enquêté sur un cercle pédocriminel lié au gouvernement basé à Omaha – entre autres enquêteurs que Cohn avait reconnu faire partie d’une opération de chantage sexuel ciblant les politiciens avec des prostitués mineurs, au cours d’un entretien entre quatre yeux avec l’ancien détective.

Rothstein a dit ceci à DeCamp à propos de Cohn :

“Le boulot de Cohn était de lâcher les petits garçons. Disons que vous aviez un amiral, un général, un parlementaire qui ne voulait pas suivre le programme. Le boulot de Cohn était de les piéger, et alors ils filaient doux. Cohn me l’a dit lui-même.”

Rothstein a dit plus tard à Paul David Collins, un ancien journaliste devenu chercheur, que Cohn avait également identifié cette opération de chantage sexuel comme faisant partie de la croisade anti-communiste de l’époque.

Le fait que Cohn, d’après les souvenirs de Rothstein, ait affirmé que le cercle de chantage pédocriminel faisait partie de la croisade anti-communiste soutenue par le gouvernement suggère que des éléments du gouvernement, y compris le FBI de Hoover, ont pu y être liés à une échelle beaucoup plus vaste que l’implication personnelle de Hoover alors que le FBI se coordonnait étroitement avec McCarthy et Cohn pendant la majeure partie de la chasse aux sorcières.

Il est également bon de relever que parmi les nombreux dossiers « secrets » de chantage de Hoover se trouvait un dossier de bonne taille sur le Sénateur McCarthy, dont le contenu suggérait fortement que le Sénateur était lui-même interessé par les jeunes filles. Selon le journaliste et auteur David Talbot, le dossier de Hoover sur McCarthy était « plein d’histoires troublantes sur la manie de McCarthy de peloter les seins et les fesses des jeunes filles quand il était saoul. Les histoires étaient si répandues que ‘tout le monde le savait’ dans la capitale, selon un chroniqueur du FBI ».

Talbot, dans son livre The Devil’s Chessboard[« l’échiquier du diable », NdT], cite également Walter Trohan, le chef du bureau du Chicago Tribune à Washington, comme ayant été personnellement témoin de l’obsession de McCarthy pour molester les jeunes femmes. « Il ne pouvait tout simplement pas s’empêcher de mettre ses mains sur les jeunes filles, » allait dire Trohan plus tard. « Pourquoi l’opposition communiste ne l’a pas piégé avec un mineur pour crier au viol, je ne sais pas. » La réponse réside peut-être en ce que ceux qui « piégeaient » leurs ennemis politiques avec des mineurs étaient les alliés et proches associés de McCarthy, pas ses ennemis.

La question qui survient forcément des révélations concernant les activités de Cohn, à l’intérieur de la Suite 233, est de savoir qui d’autre Cohn « protégeait-il » en leur fournissant des prostitués mineurs ? L’un d’entre eux a très bien pu être l’un des proches amis et clients de Cohn, le Cardinal Francis Spellman de l’Archidiocèse de New York, dont il est dit qu’il était présent lors de certaines des fêtes tenues par Cohn, au Plaza Hotel.

Spellman – l’une des figures les plus puissantes de l’Église Catholique en Amérique du Nord, souvent surnommé « le Pape d’Amérique » – a été accusé non seulement de cautionner la pédocriminalité dans l’Église Catholique et d’avoir procédé à l’ordination de pédocriminels connus comme le Cardinal Theodore « Oncle Teddy » McCarrick, mais de s’y être prêté lui-même à tel point que de nombreux prêtres de la région de New York faisaient référence à lui en l’appelant « Mary ». De plus, J. Edgar Hoover aurait eu un dossier détaillant la vie sexuelle du Cardinal, suggérant l’implication personnelle de Spellman dans le cercle et le trafic de protection pour pédocriminels duquel Cohn et Hoover étaient complices.

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Le Cardinal Francis « Franny » Spellman – Photo/Museum of the City of New York

Des gens proches de Cohn ont souvent fait la remarque qu’il était fréquemment entouré de groupes de jeunes garçons, mais semblaient n’en rien penser. Des commentaires similaires à propos du penchant d’Epstein pour les mineurs ont été faits par des personnes proches de lui avant son arrestation.

L’agent d’influence politique controversé Républicain, et « sale tricheur », Roger Stone – qui, comme Donald Trump, était lui aussi un protégé de Cohn – a dit ce qui suit à propos de la vie sexuelle de Cohn au cours d’une interview avec le New Yorker en 2008 :

Roy n’était pas gay. C’était un homme qui aimait avoir des relations sexuelles avec les hommes. Les gays étaient faibles, efféminés. Il semblait toujours avoir ces jeunes garçons blonds autour de lui. On n’en parlait tout simplement jamais. Ce qui l’intéressait, c’était le pouvoir et l’accès. (emphase ajoutée)

Comparez cette citation de Stone avec ce que Donald Trump, qui était lui aussi proche de Cohn, dirait plus tard à propos de Jeffrey Epstein, avec qui il était aussi très proche :

“Je connais Jeffrey depuis 15 ans. Un mec terrible. On s’amuse beaucoup avec lui. On dit même qu’il aime les belles femmes autant que moi, et beaucoup d’entre elles sont plutôt jeunes. Aucun doute – Jeffrey profite de sa vie sociale. (emphase ajoutée)”

Bien que le temps pendant lequel le cercle sexuel du Plaza Hotel a continué soit inconnu, ainsi que s’il a continué ou non après la mort de Cohn du SIDA en 1986, il importe de noter que Donald Trump a fait l’acquisition du Plaza Hotel en 1988. Il serait rapporté plus tard et confirmé par des invités présents sur place que Trump « tenait des fêtes dans les suites du Plaza Hotel quand il en était propriétaire, où des jeunes femmes et des jeunes filles étaient présentées à des hommes plus vieux et riches », et que « des drogues illégales ainsi que des jeunes femmes étaient passées des uns aux autres, et utilisées. »

Andy Lucchesi, un mannequin masculin qui avait aidé à organiser certaines des fêtes du Plaza Hotel pour Trump, affirma ce qui suit quand on l’interrogea sur l’âge des femmes présentes : « beaucoup de filles de 14 ans semblent en avoir 24. C’est ma limite en termes de fraîcheur. Je n’ai jamais demandé quel âge elles avaient ; je n’ai fait que prendre part. J’ai aussi participé à des activités qui seraient controversées. »

La machine Roy Cohn

Roy Cohn n’en était qu’au début de sa carrière quand il s’est introduit dans le cercle de chantage sexuel apparemment dirigé par Lewis Rosenstiel. En effet, quand Cohn rencontra Hoover pour la première fois, il n’avait que 23 ans. Au cours des trois décennies suivantes à peu près, avant sa mort due à des complications liées au SIDA en 1986 à l’âge de 56 ans, Cohn avait construit une machine bien huilée, grandement par l’entremise de ses amitiés proches avec certains des personnages les plus influents du pays.

Parmi les amis de Cohn figuraient des personnalités très médiatiques comme Barbara Walters, d’anciens directeurs de la CIA, Ronald Reagan et sa femme Nancy, les magnats de la presse Rupert Murdoch et Mort Zuckerman, de nombreuses célébrités, des avocats éminents comme Alan Dershowitz, des figures haut-placées de l’Église Catholique et d’organisations juives de premier plan comme le B’naï B’rith et le Congrès Juif Mondial. beaucoup des mêmes noms qui entouraient Cohn jusqu’à sa mort dans la deuxième moitié des années ’80 viendraient bientôt entourer Jeffrey Epstein, avec leurs noms inscrits dans le « petit livre noir » désormais notoire d’Epstein.

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Reagan avec Rupert Murdoch, le Directeur de l’US Information Agency Charles Wick et Roy Cohn dans le Bureau Ovale, en 1983 – Photo/Reagan presidential library

Tandis que le Président Trump est clairement connecté à la fois à Epstein et à Cohn, le réseau de Cohn s’étend aussi à l’ancien Président Bill Clinton dont l’ami et conseiller politique de longue date, Richard « Dirty Dick » Morris, était le cousin et proche associé de Cohn. Morris était également proche de l’ancien directeur de la communication de Clinton, George Stephanopoulos, qui est un proche associé d’Epstein.

Pourtant, il ne s’agit là que des liens de Cohn avec des membres respectables de l’establishment. Il était aussi réputé pour ses profonds liens avec la Mafia et acquit une position prééminente principalement par son habileté à mettre en relation les figures-clé du monde criminel souterrain avec des figures d’influence respectées et acceptables de la sphère publique. En définitive, comme le déclara le procureur de New York John Klotz, l’outil le plus puissant de Cohn était le chantage, qu’il employait contre ses amis comme ses ennemis, gangster ou responsable public. La quantité de matériel compromettant qu’il est parvenu à racketter au travers de son opération de chantage sexuel ne sera probablement jamais connue.

Comme le révèlera la deuxième partie de cette enquête exclusive, Cohn, Epstein et les opérations de chantage sexuel possèdent de nombreuses choses en commun, comprenant non seulement les mêmes amis et tuteurs, mais aussi des liens avec les agences de renseignements et les consortiums d’hommes d’affaires liés à la Mafia, les équivalents modernes de Samuel Bronfman et Lewis Rosenstiel qui se sont depuis renommés « philanthropes ».

La deuxième partie révèlera aussi qu’il est connu que l’opération de Cohn a eu des successeurs, tel que révélé par une série de scandales au début des années ’90, qui ont depuis été balayés sous le tapis. La quantité considérable de chevauchement entre les activités secrètes d’Epstein et de Cohn dans le chantage sexuel, ainsi que leurs liens avec nombre des mêmes individus puissants et cercles d’influence, suggèrent fortement qu’Epstein était l’un des successeurs de Cohn.

Comme il sera démontré dans le dernier chapitre de cette enquête, Epstein n’est que la dernière incarnation d’une opération beaucoup plus ancienne, plus étendue et plus sophistiquée qui ouvre une fenêtre effrayante sur les connexions profondes entre le gouvernement US et les équivalents modernes du crime organisé, en faisant un racket réellement « trop gros pour couler ».

Source : https://www.mintpressnews.com/shocking-origins-jeffrey-epstein-blackmail-roy-cohn/260621/

Whitney Webb est une journaliste de MintPress News basée au Chili. elle a contribué à de nombreux médias indépendants comme Global Research, EcoWatch, le Ron Paul Institute et 21st Century Wire, entre autres. elle a fait de nombreuses apparitions à la radio et à la TV, et est la lauréate 2019 de la Serena Shim Award for Uncompromised Integrity in Journalism.

Premièe partie : https://news.oddr.biz/roy-cohn-mentor-pedocriminel-de-donald-trump-predecesseur-depstein-partie-1/5835.html

Seconde partie : https://news.oddr.biz/les-liens-de-roy-cohn-mentor-de-trump-avec-le-chantage-sexuel-pedo-et-la-mafia-juive-partie-ii/5858.html

Troisième partie : https://news.oddr.biz/mega-group-maxwell-et-mossad-lhistoire-despionnage-au-coeur-du-scandale-epstein/6116.html

Quatrième partie : https://globalepresse.net/2019/09/08/spook-air-lolita-express-epstein-clinton/

Traduit par Lawrence Desforges

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