A quoi sert l’antisémitisme ? par François-Xavier Rochette [RIVAROL]

A quoi sert l’idéologie « sémitiste » ? A quoi sert l’antisémitisme ?

Article de François-Xavier Rochette paru dans RIVAROL 3673 du 3 septembre 2025

Eté chaud, été frais, soleil ou pluie ? Le climat ne modifie pas les mesures officielles de l’antisémitomètre qui resta et reste encore tout rouge entre les mains sionistes durant la période estivale. Et la fièvre sur papier ne risque pas de baisser tant que le thermomètre de l’antisémitisme se trouvera enserré dans les paluches brûlantes des fanatiques de l’idéologie sioniste.

On l’a répété, ces dernières années, ces derniers mois en particulier, à maintes reprises, à la lumière, aveuglante pour d’autres, de la tragédie palestinienne qui ne cesse de délégitimer le modèle axiologique de l’Occident de notre temps : l’antisémitisme n’est pas seulement un phénomène sociologique, la conséquence de certaines causes économiques, culturelles, mais aussi, mais surtout, un instrument politique puissant servant les intérêts d’une engeance spécifique au détriment de populations innocentes, et de beaucoup d’individus se réclamant du judaïsme.

L’antisémitisme, un néologisme lourd de sens

Beaucoup de gens l’ignorent mais le terme d’antisémitisme est inextricablement lié au projet sioniste. Un projet qui, au demeurant, ne fut pas celui d’un petit scribouillard autrichien de confession israélite (Theodore Herzl) mais celui d’une élite financière et rabbinique qui gravitait autour des grandes familles bancaires de Francfort dont les Rothschild constituaient l’astre noir.

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Theodore Herzl (1860-1904)

Pourquoi le concept d’antisémitisme possède-t-il une si grande importance dans l’histoire du sionisme ? Pourquoi apparaît-il en même temps que les débuts de la concrétisation du projet sioniste ?

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Moritz Steinschneider (1816-1907)

Tout simplement parce que l’antisémitisme, qui est une notion inventée par le judéologue Moritz Steinschneider vers 1860 en réaction aux critiques du « sémitisme » opérées par Ernest Renan, pose par symétrie une généalogie palestinienne à tous les Israélites du monde.

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Ernest Renan (1823-1892)

Ce mot, qui se veut raciste et qui sera d’abord popularisé dans les territoires allemands par l’antisémite caricatural Wihlelm Marr (qui fut marié à trois femmes israélites), postule donc une origine raciale commune à tous les Juifs.

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Wihlelm Marr (1816-1904)

Cependant, qui disait race, initialement avec Renan (immense célébrité de l’Université républicaine, grand orientaliste et ami intime d’Alphonse et d’Edmond de Rothschild, mécènes de la cause sioniste dès le début des années 1870 via l’achat de milliers de propriétés en Palestine au bénéfice des premiers colons), disait spécificités raciales, disait mentalité et comportement différents (des non sémites), disait hétérogénéité ethnique.

C’est d’ailleurs encore Ernest Renan qui essentialisa ce peuple juif imaginé en lui attribuant des caractéristiques que n’auraient pas possédées ceux qu’il appelait les Aryens (précisément, selon lui, cette prédisposition « toute juive » de fabriquer des monothéismes) mais aussi en le désignant comme un peuple quelque peu archaïque incapable, en l’état, de participer au grand œuvre de la modernité.

Ainsi, quand Renan prônait l’assimilation des Sémites dans la société française et européenne, les Israélites avaient toute la légitimité de penser que cette assimilation-là proposée par le « grand penseur » (membre du Grand Orient de France) correspondait à la disparition du judaïsme et des solidarités juives.

Die Einheit ou l’unité des Juifs par le sionisme

Moritz Steinschneider, qui a aujourd’hui la réputation erronée d’avoir été un penseur juif assimilationniste, était en réalité un membre éminent d’une organisation secrète appelée Die Einheit, mouvement subversif aux mille ramifications, fondé par lui-même et ses amis Abraham Benisch et Albert Löwy, trois hommes très influents liés à la dynastie Rothschild d’Angleterre que l’on peut considérer comme les véritables premiers activistes juifs de la subversion sioniste politique en Occident.

La règle de Die Einheit était la dissimulation totale de son dessein politique par la duplicité. L’objectif de la secte était de vendre l’option sioniste en persuadant les Juifs d’Europe, sans l’affirmer mais en les incitant à le penser de leur propre chef, que l’assimilation pour eux, dans la société occidentale, était une chose impossible à moins de sombrer dans la plus sombre des dérélictions.

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Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831), c’est en partie dû à la découvertes de ses thèses philosophiques que Renan apostasiera au cours de ses études au Grand Séminaire d’Issy-les-Moulineaux. Hegel est considéré comme l’un des grands inspirateurs du Marxisme issu du courant philosophique dit « Hegelianisme de Gauche » réformant la doctrine hégelienne en soustrayant Dieu de l’équation au profit d’une vision purement matérialiste.

Steinschneider, expert talmudiste de son temps, contribua consciemment à la légitimité croissante du sémitisme dans diverses communautés juives d’Europe notamment en échangeant publiquement avec Ernest Renan, son partenaire en dialectique. Le premier faisait mine de se désoler de l’antisémitisme du second, et Renan, vedette avant l’heure de l’intellocratie qui allait s’établir avec l’affaire Dreyfus, ne répondait que par l’impératif de l’assimilation sans ne jamais préciser ses conditions ou dévoiler clairement la voie de son accomplissement.

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La Dialectique Hégelienne, un concept directement inspiré de la kabbale
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La dialectique Thèse-Antithèse-Synthèse est présente dans l’Arbre de Vie de la Kabbale, incarnée par les piliers droite (positif/mâle/amour) et gauche (négatif/féminin/châtiment) représentant deux polarités dont l’opposition est résolue par le pilier central (équilibre/neutralité/illumination)

Alors que la majorité des Juifs d’Europe, pour leur plus grand nombre citadins, quittait naturellement le judaïsme en se mélangeant à la petite bourgeoisie des grandes villes européennes euphorisées par les effets de la deuxième révolution industrielle et de la religion scientiste alors triomphante, une minorité israélite, puissante et organisée, se leva, vraisemblablement, contre ce phénomène qui allait mener leur tribu vers la disparition.

Les ghettos avaient disparu, l’auto-ghettoïsation quasiment disparu, mais Francfort restait Francfort, la Haute Banque culturellement très homogène (et il était dans son intérêt de le rester), et une fraction des descendants juifs, athées ou agnostiques, à l’esprit modifié par la Haskalah (les Lumières des Juifs) conservait l’ardent désir de vivre dans un entre-soi national, tribal, communautaire.

Napoleon Sanhedrin Rothschild Revolution Franc-Maconnerie

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Il n’est par conséquent pas un hasard si les premiers sionistes politiques (appelés aujourd’hui, sans raison particulière, proto-sionistes) furent, pour beaucoup d’entre eux, des membres du judaïsme réformé à la recherche d’une solution communautaire axée autour du sol et du sang dans laquelle l’ingrédient strictement religieux, bien qu’essentiel (les commandements divins dirigés contre les ennemis attitrés du peuple élu restent incontournables dans leur doctrine), est secondaire dans le processus de mobilisation collective et de l’émigration vers la terre des aïeux. Pour certains de ces Juifs pour lesquels l’identité et l’aventure nationale priment sur la religion, il est entendu que l’antisémitisme constitue un moteur accélérationniste sioniste.

C’est d’ailleurs le petit télégraphe Theodor Herzl qui a pu écrire, en 1896, dans Der Judenstaat, que
« La détresse des Juifs, causée par l’antisémitisme, est une force propulsive qui, comme la vapeur sous pression, peut être canalisée pour accomplir de grandes choses.» (Der Judenstaat, édition française traduite par Claude Klein (1989, La Découverte, Paris), page 22), ou encore dans son journal, à la date du 12 juin 1895, que « les antisémites deviendront nos amis les plus fiables, les nations antisémites nos alliés. » (The Complete Diaries of Theodor Herzl, vol.1, p. 83-84)

Ce ne sont pas les seules sorties sulfureuses de la sorte qu’il écrivit (« Tout homme sera forcé d’admettre que nous souffrons d’une détresse sociale croissante, due à l’antisémitisme, qui nous pousse à chercher une issue. Cette détresse, loin de nous nuire, peut être transformée en une force pour réaliser notre projet : la création d’un État juif. »), et du reste, d’autres auteurs ont su analyser en leur temps les effets paradoxaux de l’antisémitisme sur le sionisme et ses diverses formes de mobilisation.

La soudaine émergence de l’antisémitisme

La judéophobie, l’anti-capitalisme « anti-juif », et l’antijudaïsme catholique n’auraient pu favoriser l’émergence du sionisme. Seul l’antisémitisme pouvait saisir les masses juives qui ne se sentaient solidaires ni envers les rabbins, ni envers les Rothschild et associés ; ni envers la religion, ni envers les faiseurs d’or.

En revanche, le nouvel antisémitisme, car il était nouveau (le mot tout comme ce qu’il recouvrait) était en effet à même d’inquiéter, d’effrayer et de révolter les masses juives qui se fichaient auparavant des Alphonse de Toussenel, des Auguste Chirac, des Charles Fourier et autres socialistes utopiques, tout comme des missionnaires catholiques.

Avec le nouveau virus antisémite sorti des laboratoires Renan-Steinschneider, les Juifs ainsi que ceux qui avaient abandonné judaïsme et communauté, devaient comprendre que leur insouciante assimilation, en cours ou effective, était dangereuse. Non seulement leur judéo-indifférence n’avait aucun effet contre l’antisémitisme qui s’en prenaient à leur nez, à leurs mains, à leur peau, à leurs
lèvres, à leurs oreilles, bref à ce qu’il y a d’inchangeable chez eux (inchangeable et visible), mais ces brebis égarés perdaient également, avec la dilution de leur esprit communautaire, la protection du groupe !

La peur se répandit progressivement sur les grandes villes européennes. L’antisémitisme menaçait tous les Juifs, sans exception ! La haine, carrément, pouvait, à tout moment, déferler sur toute l’Europe. Les Israélites des classes moyennes et de la petite bourgeoisie ne virent pas tout de suite, devant eux, ce nouvel antisémitisme, mais la grande presse relatait déjà des scènes d’horreur,
des scènes d’actes de terreur de la nouvelle anti-juiverie, des scènes épouvantables d’antisémitisme lues, entre angoisse et anxiété, par ces anciens Juifs indolents dont certains se juraient déjà de rester fidèles à la foi et à la communauté de leur père.

Le spectre de la haine !

En 1874, après avoir fondé l’Association Anglo-Juive en Angleterre, Albert Löwy, le cofondateur de Die Einheit (qui se traduit par l’Unité) se donne une mission secrète qu’il accomplit en Russie avant la survenue des célèbres pogroms antijuifs qui ravivèrent la psychose en Europe occidentale via le narratif de ces événements par les journaux.

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L’antisémitisme dans la Russie tsariste. Pogrom de Kichinev (Kichinev) capitale de la Bessarabie, 1903.

Löwy aurait enquêté sur les discriminations institutionnelles, les violences antisémites (alors que le mot était inconnu des masses russes pour lesquelles la race ne voulait rien dire) et les conditions de vie des communautés juives. À son retour de sa mission initialement secrète, il a publié un rapport en annexe du rapport annuel de l’Anglo-Jewish Association (l’Association anglo-juive citée plus
haut)) de 1874, qui était censé documenter la situation des Juifs russes, mais, surtout, qui servait à sensibiliser les Juifs d’Europe occidentale à leur sort, et à les inquiéter toujours plus quant à leur propre sort.

On ne pouvait cependant que le croire sur parole, aucune autre source n’évoquant en 1874 des violences anti-juives caractérisées en Russie. Cela n’avait pas d’importance pour la grande presse européenne qui relayait les dires de monsieur Löwy dans le but de sidérer son lectorat habitué à gober la bonne soupe.

Les masses européennes et les petits Juifs sans pouvoir apprirent peu à peu que le virus de l’antisémitisme avait pris une nouvelle dimension et frappait comme le diable sous la forme de pogroms imprévisibles.

Ainsi, dès 1881, les petits Juifs sans pouvoir découvrirent via les réseaux de Moses Montefiore (qui avait affirmé dès 1860 que la Palestine devait appartenir aux Juifs) en Angleterre, et ceux d’Adolphe Isaac Crémieux (infatigable militant sioniste) en France, tous deux riches de leurs correspondances avec les élites juives para-sionistes de Russie, que les Israélites subissaient d’épouvantables pogroms.

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Et alors qu’une inquiétude obsidionale se répandait chez les Juifs et même chez les individus d’extraction communautaire ne se considérant plus comme juifs, des ligues de papier « antisémitiques » apparaissaient en Europe comme des champignons après une journée de pluie en début d’automne.

Par tous les moyens, il fallait donc, pour de plus en plus de Juifs légitimement effrayés par cette nouvelle haine racialiste, compter sur le projet sioniste qui devenait, aussi, une issue de secours pour eux en cas d’explosion antisémite (du genre « pogrom ») en Europe occidentale.

Chose surprenante sinon sidérante dans cette histoire, la proximité religieuse, intellectuelle, politique de tous ses protagonistes, et souvent, sinon toujours, une amitié ardente qui scelle leur collaboration. Pour illustrer une nouvelle fois ce qui s’apparente à un complot ourdi par des membres d’une même mouvance politique, on rappellera, s’il le faut, que les pogroms anti-juifs qui auraient éclaté en Russie de 1881 à 1884 ont été relatés (à travers divers témoignages) la première fois dans l’hebdomadaire The Jewish Chronicle, un journal qui appartenait alors à l’Association Anglo-Juive fondée par Löwy et dirigé par Asher Myers, homme de presse formé dix ans auparavant par un membre fondateur de Die Einheit (avec Steinschneider et Löwy), Abraham Benisch !

Quelques mois suivant la publication de papiers sur ces fameux pogroms, la grande presse exploita le thème en reprenant les « informations » contenues dans les témoignages rapportés par The Jewish Chronicle.

L’affaire Dreyfus devait-elle être le coup de grâce ?

L’Affaire Dreyfus, que l’on peut comparer à une opération psychologique mondiale, convainquit également, quelques années plus tard, les petits Juifs sans pouvoir de la propagation de l’antisémitisme, même là où brillaient les Droits de l’Homme et l’individualisme sous l’égide de la République, la France.

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Il y a deux ans et demi, j’ai commis un article dans RIVAROL sur un aspect de l’Affaire intitulé « Il y a 100 ans mourait Esterhazy, l’insaisissable « traître » où j’écrivais : « Paris était un petit milieu à la fin du XIXème siècle. Edouard Drumont, qui n’était pas un fils de prolétaire, comme d’aucuns aiment le dire, était issu d’une famille qui comptait en République. Il avait fait toutes ses études secondaires au lycée Bonaparte (aujourd’hui lycée Condorcet) et fréquentait depuis ses 15 ans, au sein de cet établissement où se mélangeaient les rejetons de la grande bourgeoisie israélite et protestante, les futurs grands argentiers du pays, Alphonse et Edmond de Rothschild notamment, mais aussi un
certain Ferdinand Walsin Esterhazy.

Il est possible que les quatre-là ne se soient jamais perdus de vue. Drumont devint très tardivement ce qu’on appelle un antisémite. Cette conversion reste d’ailleurs à ce jour inexpliquée. Cet historien de formation, au solide carnet d’adresses, travailla longuement et pour un salaire très confortable pour le journal des Pereire, La Liberté. (La famille Pereire milliardaire que l’on disait concurrente des Rothschild mais qui travaillait en réalité avec ces derniers pour développer de grandes affaires dans l’industrie et le ferroviaire. Cette association est factuelle, contrairement à l’antagonisme mythique entre les deux dynasties. Antagonisme fictif d’autant plus stupide que ce sont les Rothschild qui ont aidé les frères Pereire au début de leur aventure industrielle). »

Une terreur pour une nouvelle alya

Comme tout est possible, cette vieille promiscuité peut ne rien expliquer. Il existe bien des gens qui ont tous les bons numéros au loto ou qui ont la malchance de recevoir un astéroïde sur le crâne. Nous pouvons penser de même concernant l’actualité de l’antisémitisme d’aujourd’hui qui connaîtrait ses plus hautes eaux selon des personnalités qui n’ont jamais mis leur sionisme dans la poche tel que l’insolent ambassadeur américain en France, Charles Kushner, ou comme cette myriade de commentateurs de media ultra-sionistes américains, anglais et surtout français. Ces gens-là ne déversent peut-être pas une propagande qui relève de la psychose collective dans le double but d’une part d’intimider les journalistes et les intellectuels se levant contre le génocide en cours du peuple palestinien, d’autre part d’inciter toujours plus intensément les petits Juifs sans importance de France (les plus nombreux d’Europe) à faire leur alya. Peut-être pas.

François-Xavier Rochette.

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