Vincent Lambert, symbole malgré lui – François-Xavier Rochette
Vincent Lambert Franc-maçonnerie Avortement Euthanasie …
Il m’est difficile de me défaire de l’impression gênante que Vincent Lambert est mort d’une médiatisation excessive, d’être malgré lui devenu un symbole ; qu’il s’agissait, pour la ministre de la Santé “et des Solidarités”, de faire un exemple. D’“ouvrir une brèche”, de “faire évoluer les mentalités”. La dignité ne peut en aucun cas être (altérée) par une dégradation, aussi catastrophique soit-elle, de son état de santé. Ou alors c’est qu’il y a eu, effectivement, une “évolution des mentalités”. Je ne pense pas qu’il y ait lieu de s’en réjouir.
Michel Houellebecq.
Vincent Lambert, symbole malgré lui
La semaine dernière, nous avons parlé de la difficulté avec laquelle le Système a mis à mort Monsieur Vincent Lambert. Des grains de sable ont à plusieurs reprises enrayé la machine de mort qui avait été enclenchée il y a 6 ans. C’est en effet en 2013 que l’idée de dignité est venue s’imposer dans le traitement du patient Lambert. Une dignité new age, définie selon les vœux du Pouvoir qui juge opportunément indignes les gens handicapés, qui souffrent ou, simplement, qui n’ont pas de relations sociales. Si cette redéfinition de la dignité ou plutôt de l’indignité est absolument grotesque, le sérieux et l’abnégation avec lesquels le Système fait tout pour l’imposer socialement, la faire rentrer dans les esprits, sont horrifiques.
C’est au nom de la dignité qu’ils ont tué Vincent Lambert. Evidemment, cette dignité-là n’est qu’un prétexte pour liquider, aujourd’hui Vincent Lambert, demain des milliers de handicapés et d’autres milliers d’hommes et de femmes qui se sentiront indignes tel ou tel jour, ou qui auront eu la malchance de vivre un coma après avoir rempli le fameux formulaire dans lequel il est écrit qu’ils ne veulent surtout pas ressembler à Vincent Lambert. Ces imbéciles sont soulagés ; ils n’imaginent pas le monde nouveau qui vient et dont ils hâtent l’avènement. Le Système travaille la société, travaille l’opinion, sait la stresser en permanence, à bon escient.
Encore une fois, quand on se refuse d’observer ces entreprises subversives, quand on maintient sa propre tête dans le sable comme une autruche dindonne, quand on décide contre l’intelligence de ne pas inspecter ces rouages et ces engrenages savamment agencés, on se méprend quant aux raisons du désastre moral, politique et humain que nous subissons depuis trop longtemps. Il est inutile d’admonester l’univers entier, de multiplier les crises de nerfs, de déraciner des arbres, d’inonder de larmes les Kleenex ou de jouer au squash pour se défouler. Voulons-nous être opérants, enfin ? Alors devons-nous être lucides sur les acteurs mettant en scène de nouveaux phénomènes sociétaux. Qui manipule qui ? Et comment manipulent-ils ? Le passé nous donne naturellement les meilleures leçons en la matière. Comment fabriquent-ils le terreau nécessaire à l’enracinement de leurs projets mortifères ? C’est la question que nous devons nous poser en priorité pour cesser d’avoir une vision fuligineuse et imparfaite de ces sujets. Pour créer ex nihilo un fait social nouveau, il faut en effet provoquer des réactions, fabriquer des partisans, liquider ses opposants.
La fabrique à réaction : de Marie-Claire Chevalier à Vincent Lambert
Un an après la publication du « Manifeste des 343 salopes » (litanie de femmes revendiquant le droit à l’avortement dans un désir de vie incompressible en avril 1971. On trouva alors des tas d’artistes, des raclures d’intellectuelles, prenant leur cas individuel pour une généralité de Bisounours), une énorme affaire est fabriquée à partir de boue dans notre France occupée.
De mi-octobre à novembre 1972, s’ouvre en effet le procès de Bobigny, le fameux procès de Bobigny, un procès pour avortement, le plus emblématique d’après-guerre et malheureusement le plus décisif. Cinq femmes y furent jugées : une mineure de 16 ans qui avait avorté « après un viol » et quatre femmes majeures dont la mère pour complicité ou pratique d’avortement. Dramaturgie : violée officiellement par un garçon de son lycée à l’automne 1971, Marie-Claire est enceinte. Elle refuse de garder l’enfant et demande à sa mère Michèle de l’aider. Mais Michèle Chevalier est une très modeste employée de la RATP digne de l’Assommoir. Elle élève seule ses trois filles, le papa est parti, le décor est lugubre, le public est en haleine. On peut continuer. Le scénario est alors à la hauteur de la naïveté de notre bon peuple. Le gynécologue qui confirme la grossesse ne refuse pas de procéder à l’avortement de Marie-Claire mais il demande à Michèle 4500 francs, soit trois mois de son salaire
C’est ballot. C’est la détresse ! Alors Michèle décide de faire appel à une faiseuse d’anges. Evidemment, ça tourne mal, et l’adolescente souffre d’une hémorragie. La mère l’emmène à l’hôpital qui lui demande méchamment 1 200 francs. Il paraît qu’elle doit faire des chèques en bois avant que sa fille ne soit soignée. La suite est tout aussi haletante : quelques semaines plus tard, Daniel P., le présumé violeur de la jeune fille, soupçonné d’avoir participé à un vol de voitures (enquête qui n’a jamais abouti) est arrêté et « dénonce Marie-Claire dans l’espoir que les policiers le laissent tranquille ». C’est très crédible comme comportement pour un prétendu violeur qui se dévoilerait ainsi (et qui serait au courant de cet avortement — d’ailleurs, comment ? Pourquoi ?), mais poursuivons. Paf ! Les policiers foncent au domicile de Michèle Chevalier et la menacent de prison pour elle et sa fille si elle n’avoue pas, ce qu’elle fait alors immédiatement. Michèle et la petite Marie-Claire ainsi que les avorteuses sont alors inculpées (aujourd’hui on dirait mises en examen). Et que se passe-t-il au prochain chapitre ? Ah ! La narration est ciselée. La mère est désemparée et erre dans les couloirs de la RATP où elle travaille pour un salaire de misère.
Mais, incroyable, miracle républicain, laïque surprise, lumière philosophique ! Michèle décide exceptionnellement de visiter la bibibliothèque de la RATP où elle découvre par hasard le livre Djamila Boupacha écrit par l’avocate Gisèle Halimi (ouvrage sur la militante algérienne torturée par des soldats français). Le livre intéresse Michèle, elle ne sait pas pour quelles raisons mais ça l’intéresse. Michèle Chevalier se dit : oh, mais bon sang, si j’appelais Gisèle Halimi pour qu’elle défende ma fille, mes amis avorteuses et moi ?! Immédiatement, Gisèle Halimi accepte, les yeux pétillants. « Bonjour Madame Chevalier, je m’intéresse à votre problème mais je vais en faire une grande affaire politique, vous êtes d’accord bien sûr. » Et Michèle dit oui. Tout est normal, vous voyez bien. A l’époque, les Français, paraît-il, ont vu cela comme un conte de fée. Coïncidence, Gisèle Halimi préside alors, avec le monstre Simone de Beauvoir l’association Choisir qui milite pour l’avortement libre, souriant. Tous les journaux relaient l’argumentation de dame Halimi. On ne va quand même pas embêter Marie-Claire alors que cette affaire est affreuse de A à Z ! Ça suffit, le machisme !
Voilà comment le Système a vendu l’avortement de masse au peuple. En lui faisant croire qu’il venait d’en bas, des petits, des précaires incompris tout le temps violés. Si tout cela n’a pas été orchestré, ça y ressemble. Le peuple téléphage a mordu à l’hameçon. Mais la fraction conservatrice des Français, me direz-vous ? L’avortement ? Il ne l’accepte pas comme ça ? En effet. L’affaire a accouché d’un second chapitre à faire pleurer Margaud. Le Figaro a ouvert ses pages à quelques catholiques en vue, des gens très connus, des résistants super costauds qui en ont vu des vertes et des pas mûres, des hommes avec de belles rides sur le visage qui dessinent la sagesse. Alors les sourcilleux, eux, se sont déridés, ont senti leurs tripes vibrer. C’était pour eux un signal de bonté. Il fallait s’ouvrir, bon sang ! Marie-Claire devient une héroïne. Ainsi, Le Figaro du 23 novembre 1972, fait sa “une” sur « l’avortement en question » et fait témoigner un médecin, le professeur Paul Milliez, et, surtout un prêtre, très connu, Michel Riquet. Pour eux, l’avortement devient nécessaire parfois, lorsqu’il s’agit de sauver la vie de la mère, ou pour sauver son bonheur.
Le lendemain du procès, France-Soir a publié à la une la photo du professeur Milliez avec en titre « J’aurais accepté d’avorter Marie-Claire ». En deux mois, l’avortement était vendu sous garantie. Michel Riquet ? C’était ce vieil hérétique, membre de la LICRA, créateur de la fraternité Abraham, disciple et ami de Jacques Maritain, philosémite fanatique et infatigable apôtre du rapprochement entre l’Eglise et la franc-maçonnerie.
Le Père Riquet à la rescousse !
Au dernier moment c’est donc cet homme censé représenté l’Eglise ou la communauté des chrétiens qui vient l’ouvrir pour valider définitivement l’holocauste des plus petits. La masse des français voit Riquet comme un homme d’Eglise comme un autre (et les réfractaires n’ont droit à la parole que d’une manière parcimonieuse). Peu de personnes osent s’opposer au satisfecit de Riquet. Déjà, à Lourdes, en 1968, l’épiscopat dénigra l’“encyclique” Humanae vitae (très tardive et naturaliste) de Paul VI ou en fit une interprétation très “tolérante” de telle sorte que l’application de la loi Neuwirth (décembre 1967) sur la contraception ne reçut quasiment aucune résistance.
Pendant le Procès de Bobigny, l’épiscopat, alors très à gauche (et même souvent proche du parti communiste qui venait d’accomplir sa mue féministe et sa conversion à l’abortisme qu’il ne voyait plus comme une dégénérescence bourgeoise), était face à un cas que son inclination idéologique le poussait à soutenir. Marie-Claire était une victime de la société et appartenait à la classe laborieuse. Elle fut relaxée, les adultes avorteuses très faiblement condamnées, impunies dans les faits. La loi Veil avait été brillamment préparée.
Il restait cependant une petite frange de baptisés catholiques, hélas acquis à Vatican II, mais inflexibles, au moins en apparence, sur les questions liées à la procréation, en particulier le “cardinal” Jean Daniélou [frère du traditionniste adorateur du phallus Alain Daniélou-NDLR] qui défendait alors de toutes ses forces (il était alors académicien et était une petite vedette de la télévision grâce à son humour et à sa profonde culture) l’“encyclique” de Paul VI. Patatras ! Le 20 mai 1974, 7 mois avant le vote à l’Assemblée nationale de la loi Veil, on retrouve Jean Daniélou mort dans « les bras » d’une prostituée de 24 ans. Le hasard, encore, et toujours le hasard. Malheureux hasard qui écrabouilla de honte la faction pro-vie de l’épiscopat juste avant le triomphe de Simone Veil (les journaux se sont délectés longtemps de cette affaire comme ils s’étaient délectés de la même mort de Félix Faure, alors partisan de la non-révision du procès Dreyfus).
Les Défenseurs de la Vie parmi les ruines.
Aujourd’hui, les partisans de l’euthanasie active et d’une sorte d’eugénisme “libéral” ont les coudées franches comme les avorteurs les avaient en 1974 quelques mois avant l’avènement de la loi Veil sur l’IVG. L’épiscopat, habituellement pusillanime, est sorti (c’est un hasard) très affaibli des multiples scandales de pédophilie (pendant des mois, les gros media ne parlaient « que de ça »). Le “cardinal” Barbarin qui était, au moins en apparence, l’une des personnalités les plus en vue dans la lutte contre l’euthanasie a particulièrement souffert du scandale le 17 mars de cette année (où il disparut de honte) et son image d’« homme bienveillant », gentil et convaincu a implosé. Une voix s’est tue. Aussi sûrement que celle de Jean Daniélou le 20 mai 1974. Décidément, c’est pas de chance, hein ? On comprend cependant pourquoi l’église conciliaire ne vocifère pas en ce moment, c’est le moins que l’on puisse dire.
Néanmoins, même épargnée par les derniers scandales, on est en droit de douter de l’efficacité du discours de ce clergé, de plus en plus mondain, libéral et apostat. Et puis dans une société gangrenée comme la nôtre, dépourvue de toute défense immunitaire, la conclusion euthanasiaque est presque logique. Le disciple de René Capitant, Jean Foyer (qui malgré son gaullisme était intelligent et homme de convictions) fit un discours extraordinaire de lucidité deux mois avant le vote de la loi Veil. Ce constitutionnaliste avait vu l’avenir, l’horreur, limpidement :
« Vous allez amener le Parlement à porter une atteinte au respect de la vie humaine, et je crains que cette atteint ne soit suivie de beaucoup d’autres. Déjà, ici et là, autour de nous et même en France, un avenir particulièrement sinistre commence à se dessiner. En France, déjà, nous entendons réclamer la stérilisation des infirmes et de certains handicapés. Plus tard, lorsque dans une France dépeuplée, le nombre des vieillards et des handicapés sera devenu insupportable, parce que disproportionné à celui des actifs, on expliquera à nos successeurs qu’une vie diminuée ou ralentie n’est plus une vie humaine et qu’elle ne vaut plus la peine d’être vécue. »
(Discours à l’Assemblée nationale, 26 novembre 1974).
Que verrait aujourd’hui un Jean Foyer dans sa boule de cristal ?
François-Xavier ROCHETTE
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