Assimilation ou sionisme, la mort ou la vie pour les Juifs ? – FX Rochette
La source de l’ultra-sionisme : la mutation de la pensée de Théodore Herzl par Ze’ev Jabotinsky (inspirateur de Meir Kahane, fondateur de la LDJ)
Les dernières agitations américaines étaient prévisibles. Nous ne vivons jamais aucun soubresaut quand il s’agit de la question israélienne avec cette Amérique foncièrement hypocrite qui s’appuie quand cela l’arrange sur les Droits de l’homme. L’Amérique est une calamité, elle ment, elle trompe, elle tue, en fonction des intérêts de quelques immenses industries et d’une fraction d’un peuple littéralement pris en otage par une minorité sioniste révisionniste (aucun rapport avec le révisionnisme historique). Avec cette question, il n’y a qu’un sens, c’est le sens unique. Ainsi, la semaine dernière avons-nous droit à un festival d’amour américano-sioniste d’une indécence rare avec la visite du secrétaire d’Etat, chef de la diplomatie (c’est un comble), Mike Pompeo en Israël et dans les colonies sionistes. Une première qui a ravi Netanyahu, mais aussi certainement Zemmour et Goldnadel chez nous.
Pompeo qui a promené son énorme carcasse d’épaulard échoué dans des vignobles clandestins de Psagot où il fêta son anniversaire avec sa propre cuvée confectionnée dans les colonies sauvages, preuve que sa visite n’était pas improvisée. Peut-être s’agit-il d’une forme de diplomatie pré-apocalyptique ? La diplomatie par la provocation est en effet une formule qui n’est pas réputée pour ses effets pacificateurs. L’orque américaine a aussi profité de cette visite pour faire une nouvelle annonce. Une annonce qui vise le mouvement de boycott d’Israël, dénoncé par les dirigeants du pays. :
« Nous allons considérer la campagne mondiale anti-israélienne BDS comme antisémite. Nous allons immédiatement prendre des mesures pour identifier les organisations qui ont adopté des comportements haineux du BDS et nous allons leur retirer le soutien du gouvernement américain. Nous voulons nous tenir aux côtés de toutes les autres nations qui reconnaissent le BDS comme le cancer qu’il est et nous nous engageons à le combattre. »
(Le 28 mai 2019, lors d’entretiens non publics entre Pompeo et la Conférence des présidents des grandes organisations juives américaines , un des interlocuteurs de Pompeo lui demande si, au cas où le travailliste britannique Jeremy Corbyn -soupçonné d’être trop tendre avec les militants BDS- serait élu et où la vie deviendrait très difficile pour les Juifs au Royaume-Uni, il serait prêt à agir. Pompeo répond : « Nous n’attendrions pas qu’il fasse ces choses pour le contrecarrer » (« to push back »).
Pompeo sur la rampe de lancement, Corbyn à terre
Le lendemain de la visite du grossier Pompeo dans la colonie, Washington annonça avoir pris de nouvelles sanctions à l’encontre de l’Iran, visant d’une part le ministre des Renseignements, mais aussi la fondation Bonyad Mostazafan ou Fondation des déshérités. Le ministre iranien des Renseignements, Mahmoud Alavi, est ciblé pour son “rôle clé dans les violations brutales des droits humains commises par le régime iranien contre le peuple iranien”, détaille ce communiqué. Les droits humains étant bien sûr absolument respectés dans les colonies sionistes, n’est-ce pas ?
La Fondation des déshérités, institution qui gère les biens de l’ancienne famille royale et de ses proches saisis au lendemain de la révolution islamique de 1979, est également sanctionnée. Cette fondation s’est, au fil du temps, transformée en un gigantesque conglomérat détenant des participations dans de nombreux secteurs clé de l’économie iranienne (BTP,pétrole, mines etc.). L’administration Trump vise aussi 50 de ses filiales “dans des secteurs clé comme l’énergie, les mines, la logistique, les technologies de l’information, et les services financiers, qui comptent pour une large part des milliards de dollars de l’empire économique” de la fondation. “Le guide suprême iranien utilise Bonyad Mostazafan pour récompenser ses alliés sous prétexte de charité”, a déclaré le secrétaire américain au Trésor Steven Mnuchin, cité dans un communiqué. Est aussi ciblé Parviz Fattah, ancien ministre de l’Energie qui dirige la fondation. Pompeo s’est félicité de ces « sanctions contre l’Iran ».
L’Iran étranglé, l’Iran exsangue
L’Iran vivait déjà une véritable catastrophe économique avant ces nouvelles sanctions (qui ne servent qu’à l’affaiblir et à provoquer des révoltes populaires), la plus grave misère guette désormais le pays. L’Amérique et les droits humains n’ont manifestement pas perdu de leur mordant. Ni le légendaire Benjamin Netanyahu qui malgré son apparence de grand ahuri est le premier responsable de cette situation. On le fait souvent passer pour une sorte de mafieux, un voyou, un fin politicien au mieux, mais Benjamin Netanyahu est avant tout le dirigeant convaincu d’une véritable Bund (ligue) composée des partisans du Grand Israël, inaccessibles au découragement et à la pitié.
Aux origines de Benjamin Netanyahu
Bentsion Nétanyahou, le père de Benjamin, décédé en 2012 à l’âge de 103 ans, était un historien réputé, à l’esprit vif et aux opinions tranchées. Il n’était pas précisément un homme politique, même s’il a connu de près plusieurs figures de proue du mouvement sioniste – au premier rang desquelles il faut citer Zeev Jabotinsky, nous y reviendrons – et s’il a pris une part importante aux activités du mouvement sioniste jabotinskien, en Israël et surtout aux États-Unis, où il a passé une grande partie de sa vie.
Bentsion Nétanyahou fut surtout un historien de renommée internationale, spécialiste du judaïsme espagnol au Moyen-Age, obnubilé par les marranes revanchards. Son parcours intellectuel, intéressant à plusieurs titres, permet aussi de comprendre dans quel environnement a grandi son fils, Benjamin Nétanyahou. Le père de Bentsion, Nathan, était un précurseur, un militant sioniste et écrivain prolifique. En 1921, la famille émigre en Palestine. C’est là que Nathan Mileikovski hébraïse son nom (Zemmour approuve) et fréquente les cercles sionistes révisionnistes. Bentsion étudie à l’université hébraïque de Jérusalem, où son professeur est le fameux Joseph Klausner, grand-oncle de l’écrivain Amos Oz. Par la suite, il se rend à New-York, où il devient le secrétaire particulier du dirigeant sioniste … Zeev Jabotinsky.
L’ombre de Jabotinsky
Après le décès de ce dernier, en 1940, Nétanyahou poursuit ses activités sionistes aux États-Unis. En 1949, il rentre en Israël, mais l’université hébraïque refuse de lui donner un poste, en raison de ses opinions politiques extrémistes. Cela n’empêchera pas Bentsion Nétanyahou d’accomplir une carrière universitaire aux États-Unis, où il devient professeur à l’université Cornell. Le petit Benjamin, lui, recevra comme ses frères, une éducation nationaliste exaltée et sans faille. Il est un pur produit jabotinskyste, comme son père (ancien secrétaire de l’homme d’Odessa), et œuvre sur le terrain politique pour l’édification du Grand Israël par la force, par la « Muraille de fer ».
Et pour lui, un bon juif est un juif sioniste, non à moitié sioniste, mais totalement, intensément et toujours tendu vers un objectif, l’Eretz Israël du Nil à l’Euphrate. Le Jabotinskyste doit agir patiemment, obstinément et les poings serrés, afin de construire pierre après pierre sa nation si désirée. Une mission de longue haleine qui permet aussi de galvaniser le peuple juif, de le maintenir dans son hétérogénéité, de le préserver de l’assimilation et des pesanteurs des autres nations. Dans un monde où l’athéisme domine l’Occident (et les Jabotinskystes se veulent être l’avant-garde de l’Occident dans le monde avec Israël), le nationalisme, mieux le projet d’une nation sans cesse en construction (jusqu’à la fin de l’Histoire) contre l’ennemi arabe et perse.
Le sionisme ou la mort
Le sionisme n’est pas une option, une alternative, une passion d’amateur pour une seconde nation, mais la dernière chance d’existence du peuple juif en tant que peuple. Par un curieux hasard, Jabotinsky, qui a atterri à Bordeaux à l’époque du gouvernement Paul Reynaud, découvre les tombes des enfants de Théodore Herzl (le fondateur officiel du sionisme), tous les deux suicidés après une vie de folie et de nymphomanie (selon le quotidien Sud Ouest ,avec l’aide du professeur Michel Benezech qui a consulté les archives de l’hôpital Charles-Perrens et fait une communication sur ce sujet dans les annales médico-psychologiques.) quelques années auparavant alors qu’un autre fils est mort de la même façon à New-York dans les années trente également. Pour Jabotinsky, la tragédie des enfants Herzl découle de leur infidélité envers le sionisme (déjà modéré) de leur père. Ils sont morts parce qu’ils ne vivaient pas dans un écosystème favorable à leur nature. Ils sont morts parce qu’ils ont cru que le monde des non juifs valait mieux que « leur nation ».
Bordeaux ou l’Eretz, il faut choisir
Un article d’une clarté remarquable a été écrit à ce sujet dans l’hebdomadaire Rassviet qu’il dirigeait. Ce passage en particulier, dans lequel Jabotinsky entend démontrer la nécessité absolue du nationalisme juif. Un extrait, vous le verrez, fort riche en symboles :
« Chez les non-Juifs tout est plus large, beau, gai […] leur vie est plus riche, et leurs idéaux sont illuminés des promesses de mille biens et sont donc plus séduisants que les nôtres. Cela plaît au moins à ce type de personne qui est sensible au spectacle de la rue avec ses drapeaux qui claquent au vent, son bruit et ses défilés. La majorité d’entre nous n’a pas su s’élever au-dessus de cette fascination pour tout ce qui se passe dans l’autre « rue ».Notre ennemi est vivant. La tendance qui consiste à adapter nos pensées et nos aspirations non pas aux besoins du peuple juif, mais aux courants idéologiques à la mode en dehors de chez nous, est la source du poison de l’assimilation auquel à chaque instant peuvent succomber nos enfants. Cela peut se passer n’importe où et de mille façons différentes, mais l’issue, la fin est toujours à Bordeaux. De telles choses finissent toujours à Bordeaux. Bien sûr il y a différentes façons de se suicider, mais à trop regarder par la fenêtre on arrive toujours au même point, au constat d’une vie gâchée mise vainement au service des autres. Dans son exil turc Trotski en est réduit à écrire ses propres éloges, l’Allemagne remercie les Juifs de cent ans de fidélité nationale par six millions de crachats au visage, dites-moi quelle est la différence entre une balle dans la tête et un suicide moral ? Aucune : terminus Bordeaux, tout le monde descend »
Ce texte constitue indéniablement le point d’orgue de la pensée jabotinskyste, d’une pensée qui s’est développée à partir de ce qu’il considère être la trahison de Martin Buber, « juif mental», cet « insuffisant » sioniste. Buber délaissa en effet progressivement l’activité sioniste pour se consacrer à ce qui allait devenir un de ces centres d’intérêt principaux, le hassidisme et la mystique en général, pour lesquels il nourrissait une attirance bien plus grande que pour l’action sioniste.
Après le décès de Herzl en 1904, Buber se répandit en critiques contre lui, écrivant notamment qu’il n’avait « rien de fondamentalement juif ». Dans un article publié l’année du décès du fondateur du mouvement sioniste, Buber écrivit ainsi : « Il a vécu, bâti, s’est trompé, a fait ce qui est bon et ce qui est discutable pour son peuple et, ce faisant, il a dressé sans le savoir une statue devant le peuple, à laquelle le peuple donna son nom ». Le reproche principal fait à Herzl par Buber était de « n’être pas suffisamment juif ». A partir de là, Buber élaborera toute une doctrine du « sionisme authentique » et de la « Sion véritable », qu’il convient de rechercher, non pas sur la terre mais dans l’édification d’une « communauté authentique » et dans la « réalisation du judaïsme », qui désigne plus encore aux yeux de Buber la réalisation de soi que l’élaboration d’un projet social et politique. Contre Buber et le judaïsme tranquille, Jabotinsky choisit Sion et la guerre.
Aujourd’hui, les tenants du Grand Israël n’ont plus pour ennemis véritables les antisémites du dimanche, mais ceux qui se posent des questions sur les manœuvres sionistes, la gauche, et surtout les juifs insuffisants, les juifs modérément sionistes. Ceux-là doivent être marginalisés, attaqués, étouffés médiatiquement. Le cas Buber étrillé en son temps par Jabotinsky constitue une leçon pour les ultras d’aujourd’hui. Car Martin Buber n’était ni plus ni moins que le disciple de Herzl bien qu’il fit toujours preuve par ses écrits et ses déclarations d’un sionisme tiède. Pour Netanyahu comme hier pour Jabotinsky, la qualité de juif s’établit par un sionisme exclusif, jaloux, intraitable. Les timorés doivent être neutralisés.
François-Xavier Rochette.